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Annulations de vols intempestives : quels recours pour les voyagistes ?

« Les tour-opérateurs doivent aller devant les tribunaux », lance René-Marc Chikli


Elles ont été le cauchemar de toutes les agences de voyages et des tour-opérateurs l'été dernier : les annulations de vols des compagnies aériennes. Entre les grèves, la pénurie de personnel, les conditions climatiques, etc., les professionnels du tourisme sont constamment tributaires de leurs partenaires aériens, dont certains sont plus coopératifs que d'autres... Une situation évoquée lors du Forum 2023 du SETO, à Deauville, le temps d'une conférence assurée par Me Yves Removille. L'avocat spécialiste en droit du tourisme en a profité pour rappeler les arguments évoqués par les compagnies aériennes face à ces annulations, mais surtout comment les tour-opérateurs peuvent les contrer...


Rédigé par le Vendredi 12 Mai 2023

Les compagnies aériennes opposent souvent aux TO qu'elles ignoraient que le vol acheté entrait dans le cadre d'un voyage à forfait en cas d'annulation. D'où l'importance de renseigner dans le PNR ou l'API le fait que le billet acheté entre dans le cadre d'un forfait touristique ou d'une croisière - DR : DepositPhotos.com, nmcandre
Les compagnies aériennes opposent souvent aux TO qu'elles ignoraient que le vol acheté entrait dans le cadre d'un voyage à forfait en cas d'annulation. D'où l'importance de renseigner dans le PNR ou l'API le fait que le billet acheté entre dans le cadre d'un forfait touristique ou d'une croisière - DR : DepositPhotos.com, nmcandre
En parallèle de la révision de la directive européenne sur les voyages à forfait, un autre sujet d'ordre juridique a fait débat lors du dernier Forum du SETO (Syndicat des Entreprises du Tour Operating) à Deauville, les 9 et 10 mai 2023.

Intitulée « Annulation de vols : comment engager la responsabilité des compagnies ? », cette conférence s'est appuyée sur l'expertise de Me Yves Removille, avocat spécialisé en droit du tourisme et de l'aérien, pour éclairer les tour-opérateurs sur leurs moyens de défense face aux transporteurs.

L'avocat a commencé par rappeler les deux textes fondateurs qui régissent les rapports des TO avec les compagnies aériennes : le Code du tourisme dans sa version de 2018 et le règlement (CE) n°261/2004, « dont on nous dit qu'il est en révision depuis 2013... » a souligné Yves Removille.

« Vous vous trouvez donc entre le marteau et l'enclume, a-t-il résumé, avec d'un côté les compagnies aériennes qui vont vous imposer un certain nombre de choses et de l'autre, le Code du tourisme qui vous impose également un certain nombre d'obligations à l'égard de vos clients, c'est-à-dire les voyageurs ».


L'impact de la « circonstance extraordinaire »

Les compagnies aériennes, quant à elles, ont aussi des obligations vis-à-vis des passagers : information, assistance (réacheminement, hébergement et restauration, etc.), mais aussi une obligation d'indemnisation forfaitaire automatique, pour laquelle, selon le Règlement 261/2004, « le passager peut obtenir 600€ d'indemnité, simplement en démontrant que son vol a été retardé ou annulé, voire plus si le préjudice subi est supérieur à 600€, ajoute l'avocat.

Cette indemnité automatique n'est due que si l'annulation ou le retard du vol n'est pas dû à une circonstance extraordinaire au sens du Règlement ».

Selon Me Removille, une « circonstance extraordinaire » ressemble beaucoup aux « circonstances exceptionnelles et inévitables (CEI) » prévues dans le Code du Tourisme.

Des conditions météorologiques défavorables à la sécurité d'un vol, les grèves des contrôleurs aériens ou des bagagistes peuvent être des circonstances extraordinaires.

A l'inverse, la grève (même surprise) du personnel de la compagnie aérienne dont le vol est annulé ou une panne sur l'appareil n'en sont pas, selon un jugement de la Cour de Justice de l'Union Européenne.

Dans tous les cas, circonstances extraordinaires ou pas, l'obligation d'assistance des compagnies aériennes est obligatoire. « Il faut donc pouvoir identifier les deux cas de figure pour savoir s'il y aura droit à indemnisation à un moment donné, au bénéfice des passagers ou de l'opérateur de voyage », conseille Yves Removille.

Un voyagiste peut demander réparation au transporteur aérien

Une fois le tableau posé, l'avocat s'est attelé à énumérer les arguments les plus fréquemment opposés par les compagnies aériennes aux professionnels du tourisme, lorsque ces derniers vont chercher leur responsabilité.

« Le premier est de dire que le Règlement 261/2004 exonère les compagnies de responsabilité parce qu'elles ont annulé le vol à plus de 15 jours du départ et ne doivent pas verser d'indemnité forfaitaire automatique. Elles se contentent de rembourser l'agence ou le voyagiste et les laisse se débrouiller seuls avec leurs passagers laissés sur le tarmac », résume Me Removille.

Pour autant, le paiement de l'indemnité ne les dédouanent pas de leur responsabilité de fournir un autre vol ou de rapatrier le client ».

Un passage du Règlement 261/2004 évoque aussi le droit d'un organisateur de voyages ou d'un tiers, autre que le passager, de demander réparation au transporteur aérien.

« Le principe de base pour un voyagiste qui veut assigner en responsabilité une compagnie aérienne est celui de la faute contractuelle et de la responsabilité délictuelle. C'est un mécanisme issu d'une construction jurisprudentielle de la Cour de Cassation en France », précise Me Removille.

En effet, si le contrat de transport est établi entre la compagnie aérienne et le passager, le tour-opérateur est considéré comme mandataire, à la fois de la compagnie et du voyageur. Ainsi, tout passe par son intermédiaire, même sans relation contractuelle entre le TO et le transporteur (hors allotements, blocs-sièges, etc., qui sont des cas différents).

Alors, « dès lors qu'une compagnie aérienne annule unilatéralement un vol, même à plus de 15 jours du départ, elle commet une faute contractuelle à l'égard du passager. Car selon le Code Civil, un contrat ne peut pas être résilié unilatéralement », rappelle Me Removille.

Par ailleurs, selon la Cour de Cassation, « le tiers à un contrat peut invoquer sur le fondement de la responsabilité délictuelle le préjudice subi, qui est distinct de celui subi par le voyageur, et demander réparation auprès d'un tribunal ».

Le « motif opérationnel », un vrai fourre-tout

Pour Me Yves Removille « peu de tour-opérateurs s'engagent dans des procédures » contre les compagnies aériennes - DR : A.B.
Pour Me Yves Removille « peu de tour-opérateurs s'engagent dans des procédures » contre les compagnies aériennes - DR : A.B.
Troisième argument des compagnies aériennes : le « motif opérationnel », qui en soi n'est pas une circonstance extraordinaire, mais devra être prouvé par le transporteur.

« A chaque annulation de vol, il faut toujours demander à la compagnie le motif exact, ce qui peut être fastidieux surtout dans des situations comme celles de l'été dernier », consent Yves Removille.

Si ces annulations se produisent la plupart du temps à moins de 15 jours du départ, l'avocat a déjà connu le cas d'une annulation de vol à six mois du départ. « La compagnie a remboursé immédiatement, mais le lendemain du remboursement, elle a reprogrammé le même vol, aux mêmes horaires et sous le même numéro, vers la même destination, mais plus cher... »

De l'importance de signaler qu'il s'agit d'un forfait

Enfin, autre argument fort chez les compagnies aériennes : celui du préjudice prévisible, qui résulte d'une disposition du Code Civil selon laquelle « on ne peut indemniser que le préjudice qui était prévisible à la signature du contrat », résume Me Removille, s’appuyant sur un arrêt rendu à la fois au détriment et au bénéfice de la SNCF par la Cour de Cassation.

Dans cette affaire, un client devant se rendre à Roissy pour prendre son avion pour les États-Unis, loupe le train qui doit l'emmener en région parisienne à cause d'un retard. Par conséquent il manque son vol et poursuit la SNCF qui, selon la Cour de Cassation, a une obligation de résultat en ce qui concerne le respect des horaires et doit donc indemniser les passagers qui subissent un préjudice à cause d'un retard.

Mais la Cour dit aussi que la SNCF ne peut indemniser que le préjudice prévisible, par conséquent, ne sachant pas au moment où elle a vendu le billet que le client partait aux États-Unis par la suite, ce dernier a été débouté de sa demande de remboursement.

« Dans le cas des tour-opérateurs, les compagnies aériennes opposent souvent qu'elles ignoraient que le vol acheté entrait dans le cadre d'un voyage à forfait, et non d'un vol sec, souligne Me Removille.

D'où l'importance, lorsque vous réservez, de renseigner dans le PNR ou l'API le fait que vous achetez le billet dans le cadre d'un forfait touristique ou pour aller récupérer une croisière, par exemple. En cas de litige, vous pourrez opposer que le préjudice était parfaitement prévisible ».

Il faut aussi, pour établir ce préjudice, bien conserver tous les éléments permettant de le chiffrer : factures, frais, reprotection, différence de coûts, etc., et bien vérifier que le vol annulé a été remboursé. « Il est également possible de chiffrer le temps passé sur la reprotection des dossiers, en se basant sur la masse salariale de l'entreprise divisée par le nombre de salariés, puis par le nombre d'heures travaillées », ajoute l'avocat.

Peu de tour-opérateurs s'engagent dans des procédures...

S'il existe plusieurs arguments opposables aux compagnies aériennes, Me Removille a constaté que peu de tour-opérateurs s'engagent dans des procédures « parce que c'est long, et que ce sera forcément du fond puisqu'il s'agit d'indemnisation de préjudice et non du référé, que l'on peut envisager uniquement s'il n'y a pas eu de remboursement du vol annulé ».

Suite à une réflexion menée avec René-Marc Chikli, Hervé Tilmont et Jurgen Bachmann pour le SETO, il préconise déjà dans un premier temps, aux tour-opérateurs « d'écrire aux compagnies en leur expliquant que leur métier est de construire des voyages à forfait et que l'annulation d'un vol a des conséquences pour eux et qu'elles en sont responsables.

Cela peut avoir un petit impact auprès de certains transporteurs qui vont envisager de prévoir une reprotection pour le passager, au même prix, et pourquoi pas même en s'adressant à une autre compagnie. Car en réalité le Règlement ne dit pas que la compagnie doit reprotéger le client sur l'un de ses propres vols
, souligne l'avocat.

Et à défaut de procès, commencez par leur envoyer la facture avec une estimation du surcoût engendré ! » a-t-il lancé aux voyagistes présents dans la salle.

Autre recours : si une action de groupe n'est pas envisageable car réservée aux consommateurs, les tour-opérateurs ont tout de même la possibilité de se regrouper contre une seule compagnie auprès de laquelle ils auraient réservé des places sur un même vol ou si jamais ils ont été confrontés à l'annulation de plusieurs vols sur la même période.

Marietton en procès contre une vingtaine de compagnies

Néanmoins, certains voyagistes commencent à vouloir faire bouger les lignes, à l'image du Groupe Marietton Développement qui a lancé une action en référé contre la compagnie TAP Air Portugal, a indiqué Laurent Abitbol lors du Forum du SETO.

« Le vol qui devait faire partir trois groupes depuis Marseille a été annulé le jour du départ sans aucune raison, a expliqué le président du Groupe. Il y a eu une première audience et les représentants de la compagnie ne sont même pas venus ».

Dans cette affaire-là, Marietton Développement demande à être remboursé à hauteur de 400 000 euros, ainsi que des dommages et intérêts pour le préjudice causé à la marque Havas Voyages.

Mais le Groupe a engagé d'autres procédures à l'égard d'une vingtaine de compagnies aériennes, pour un montant global de 1,5 million d'euros de dommages et intérêts.

Et le SETO dans toute cette histoire ? « Nous tenons une liste de tous les vols annulés et non remboursés, divisée en deux colonnes : d'un côté la liste des compagnies européennes dans laquelle figure la TAP, et puis les autres.

Maintenant, le SETO n'a pas le droit de saisir la justice au nom des tour-opérateurs
, a rappelé René-Marc Chikli, le président du syndicat. C'est à vous d'avoir le courage de le faire plutôt que de venir pleurer, a-t-il lancé à ses membres.

Il y a des solutions. Alors vous allez dire que Laurent Abitbol l'a fait parce qu'il est aussi un distributeur, et que la TAP a peur de lui, mais franchement quand on voit la liste des compagnies concernées, il n'y a aucune raison de ne pas franchir le pas et d'aller devant les tribunaux.

Si vous ne le faites pas, c'est un choix commercial et non pas institutionnel
».

Anaïs Borios Publié par Anaïs Borios Journaliste - TourMaG.com
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